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Perspectives de valorisation du bois suisse : du rôle des communes

Le bois : un allié de la transition écologique

Le bois dans la construction permet de stocker du CO2. Il participe significativement à la transition écologique lorsqu’il est façonné au sein d’un réseau de proximité, l’effet étant accentué avec la réduction des distances dues au transport. Première étape de la transformation du bois, le sciage en Suisse constitue le maillon le plus fragile de la chaîne de valeur écologique (stockage de carbone), économique (valorisation d’une ressource naturelle locale) et sociale (par la transmission de savoir-faire, maintien d’emplois).

Quelle que soit l’essence du bois résineux ou feuillu, son volume et bien sûr son état de santé (infestation des insectes bostryches) – par ailleurs toujours plus impacté par le réchauffement climatique, il est aussi important de valoriser le bois que de lui permettre d’assurer ses autres fonctions (protection, biodiversité, détente) dans son écosystème forestier. Le bois stocke le carbone durant son cycle de vie même comme matériau, contrairement aux matériaux inertes tel le béton ou le plastique, dont la production génère encore du CO2. Mais garantir la première étape de transformation du bois dépend de la capacité des entreprises de sciage à assurer l’écoulement des grumes dans leur diversité (essences, volume, qualités du bois).

Plus de vingt scieries ont disparu chaque année durant ces trois dernières décennies en Suisse. Cette tendance est plus ou moins marquée selon les cantons. Si certaines scieries ont augmenté leur volume de production, le volume global de débitage a diminué au détriment notamment du bois d’énergie. En période de transition écologique, cette tendance soulève de nombreux paradoxes.

Un récent rapport de cevAde pour le programme de la filière bois vaudoise a décliné les différentes causes structurelles de cette mutation des entreprises de sciage : risques de la succession face aux besoins d’investissement de nature industrielle et faibles marges ; des surfaces d’activités, dont les affectations ne sont plus adaptées pour permettre un développement intégré ; dépréciation de la profession, sans citer le cadre du marché. Dès lors, comment assurer leur maintien et leur développement ? Qui cela concerne-t-il ?

De la responsabilité du propriétaire forestier

La disparition des scieries impacte en premier lieu les propriétaires forestiers. En Suisse, plus de 71% des forêts sont la propriété des collectivités publiques, principalement les communes. La part privée – 29% de l’aire forestière totale – concentre une diversité de petites propriétés d’en moyenne seulement 1,5 hectare. Les propriétaires ne forment certes pas un tout homogène. Néanmoins, une étude de l’Office fédéral de l’environnement a fait ressortir que le premier objectif des propriétaires tant publics que privés est d’assurer une forêt saine et stable. Plus particulièrement, les propriétaires publics ont conscience que trop peu de bois est récolté dans les forêts suisses, mais ne font cependant pas le lien avec leur propre responsabilité (OFEV, 2018).

Ce constat renvoie au cadre régalien national. La politique forestière fédérale a longtemps privilégié un cadre de l’économie forestière qui s’arrête là où débute l’économie de la filière bois. ForêtSuisse, association des propriétaires forestiers définit ainsi deux systèmes différents : l’économie forestière et l’industrie du bois. L’exploitation forestière assure ainsi jusqu’à la commercialisation des grumes. Leur stockage – grumes empilées et prêtes à être transformées – matérialise ainsi une zone d’échange complexe entre les propriétaires forestiers et l’entreprise de sciage, qui représente encore le premier acquéreur, maillon déclencheur de la filière bois. Influencée par des décennies de gestion patrimoniale de la forêt, la relation entretenue par les propriétaires forestiers avec les scieurs empruntait une teinte plus directive que collaborative. Mais la situation évolue et des partenariats exemplaires ont montré leur efficacité, déjà dans les années quatre-vingt.

Les entreprises de sciage permettent d’assurer la valorisation des grumes dans un réseau de proximité pour les collectivités propriétaires, avec en sus la possibilité d’approvisionner en bois la construction des bâtiments publics, subventionnés par la collectivité ou simplement privés. De surcroît, la diversité de ces entreprises et leur distribution géographique permettent de garantir aux propriétaires de récupérer les bois endommagés par les risques naturels, entre autres. En 2019 par exemple, une des plus importantes scieries suisses, la scierie Zahnd, a permis à de nombreux propriétaires de valoriser leur bois bostrychés dans le canton de Vaud plutôt que de l’exporter en Chine, à des prix « bradés » au départ des forêts.

Quel développement pour la filière bois et du sciage en particulier  ?

Point de départ d’une chaîne de valeur écologique, économique et sociale, la scierie permet donc la préparation du matériau en vue des projets de construction publics. C’est ainsi que récemment, le canton de Vaud a pu inaugurer la Maison de l’Environnement, exemple de construction passive, qui allie des matériaux naturels, la terre et le bois issus et transformés dans un rayon de proximité. Cet objectif a pu être pleinement atteint parce qu’une entreprise de sciage a pu participer au projet.

A cet égard, il est important que les collectivités publiques veillent à encourager le maintien et le développement des entreprises de sciage, les petites comme les grandes, localisées dans leur canton par le biais des outils usuels du développement économique, voire de partenariats publics et privés qui rapprochent propriétaires forestiers et entreprises de la filière bois (comme en France ou au Canada). Nombre de secteurs d’activités font l’objet d’appuis spécifiques reconnus, la filière bois et l’étape de sciage en particulier mérite plus que jamais un accompagnement dédié. Dans ce processus, les indicateurs d’évaluation de l’appui au développement économique ne devraient pas se limiter à la création d’emplois, ils auraient tout intérêt à inclure des critères écologiques et sociaux. S’il paraît utopique que la politique forestière fédérale intègre la filière bois à part entière, des ponts mériteraient d’être tissés avec les plans climat cantonaux.