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La « culture der rationalismus » | une histoire de séparation qui débute au XIXème siècle

La rationalisation de l’espace construit

On appelle rationalisation le phénomène de la multiplication des fonctions : une partie extraite de la totalité, rendue autonome, mais coordonnée avec les autres parties ayant déjà subi le même processus.
Dès la fin de la 1ère guerre mondiale, après les procédés industriels, la production de logement en Europe fera l’objet d’une démarche globale de rationalisation.

Les destructions et la pénurie due à l’arrêt de la construction pendant la période belliqueuse ont aggravé une situation préexistante de surpeuplement urbain, de vétusté et d’absence de tout confort, amplifiée par l’afflux massif de population dans les villes à la recherche d’un emploi après la guerre.

Le Bureau international du travail (BIT) procède à trois grandes enquêtes sur le logement (nombre, qualité, législation) qui vont démontrer l’ampleur du phénomène au niveau européen, le manque se chiffre par centaines de milliers de logements. Devant l’urgence, les gouvernements mettent en place des mesures destinées à dynamiser la construction et à abaisser son coût. Exonération fiscale, contrôle des prix des matériaux, subventions, simplifications de la législation sur les constructions, contrôle des loyers, expropriation, autant d’interventions qui permettent aux états très lentement de rééquilibrer l’offre et la demande.

La grande majorité des nouveaux logements subventionnés ont entre une et trois pièces, ce qui ne diffère pas beaucoup de la situation d’avant-guerre. Toutefois, les nouveaux logements ont des standards de confort sensiblement améliorés, grâce à l’obligation faite aux constructeurs d’intégrer du chauffage, de la lumière, des WC, des buanderies collectives, etc. La rationalisation des plans a permis un gain substantiel de surface habitable en ouvrant la voie à l’utilisation de modèles reproductibles et la nécessité d’abaisser les coûts de réalisation a accéléré la normalisation des éléments constructifs et la fabrication en série.

L’Allemagne est particulièrement performante, durant la reconstruction, grâce à une approche standardisée de la production industrielle du bâtiment efficace et coordonnée. D’intéressants résultats avaient été obtenus dès avant la guerre avec l’utilisation de normes pour un grand nombre de composants de la construction et d’un système de plans-type. Les logements sont petits mais les fonctions sont désormais clairement identifiées et séparées, cuisine-séjour, chambre, bain. A partir des années 20, des colonies de démonstration, vitrines de l’ère nouvelle, sont construites à Francfort, Dessau, Munich, à Stuttgart avec le très fameux Weissenhofsiedlung inauguré en 1927, auxquelles collaborent les plus fameux architectes de l’époque. Ces réalisations auront un retentissement considérable et les visiteurs affluent de toute l’Europe. Parallèlement aux réalisations, des recherches qui codifient la nouvelle manière « moderne » de bâtir et planifier constituent peu à peu un appareil théorique. Alexander Klein publie en 1928 « Grundriss und Raumgestaltung von Kleinwohnungen und neue Auswertungsmethoden » (Fondements et conception des petites habitations et nouvelle méthode d’analyse), véritable essai de fonder une science de la composition architecturale et Ernst Neufert rédige « Bau-Entwurfslehre » (Éléments des projets de construction) en 1936, un “traité” d’architecture rationnelle, où des modèles normalisés de tous les éléments de l’environnement construit, du rangement pour la vaisselle à la rue de quartier, sont proposés aux concepteurs. Ces ouvrages ont servi de références, spécialement le Neufert, à des générations d’architectes.

Le logement ne permettant plus que les fonction pragmatiques et élémentaires, l’Existenzminimum, il devient impératif de s’occuper de la chaine des besoins. Dans le logement on mange, on dort, on se lave, dans l’immeuble on lave le linge on stocke le superflu à la cave, dans la rue on joue, on circule, dans le quartier on va à l’école, au parc, au magasin, en ville au dispensaire, au travail, sans être exhaustif. Le concept de logement minimum aboutit ainsi inexorablement vers la planification de la ville et de ses fonctions, ceci dans une logique beaucoup plus directe que ce qui s’était fait auparavant. C’est aussi l’époque du renforcement de la notion d’équipements et de services publics, ce qui contribue à la diversification des fonctions.
La conscience de l’indissolubilité du lien entre espace minimum et multiplication des fonctions urbaines, aboutissant à la planification de la chaîne des besoins, a permis aux architectes « modernes » de projeter logements, quartiers, villes, dans une logique globale, conditionnant ainsi pour longtemps notre environnement construit.